Mon travail avec Christiane et Samuel

Les noms et circonstances de cette histoire ont bien sûr été changés, pour préserver l’anonymat des personnes

Christiane est une femme dans la cinquantaine qui a créé de toute pièce, en y investissant  toute son énergie une structure d’accueil pour des migrants mineurs, dans le sud de la France

Dans les débuts, elle a travaillé en binôme avec Samuel, un partenaire lui aussi issu de l’immigration récente, d’une quarantaine d’années, ils ont aménagé des locaux, ils ont accueilli 50 enfants environ, etc… et il y a quelques mois, ils ont décidé de se séparer à cause de nombreux dysfonctionnements et d’une communication devenue très mauvaise.

Elle est proche du désespoir car rien ne fonctionne correctement, il y a beaucoup de turn-over du personnel, et d’énormes problèmes matériels en permanence.

Récemment, en désespoir de cause, elle a réembauché Samuel ; mais elle craint que les problèmes de communication réapparaissent

Elle se sent à la fois dépassée, amère et fatiguée. Elle est dans une impasse et me demande de l’aide.

J’observe de manière récurrente le fonctionnement suivant

  • Christiane s’inquiète du mauvais fonctionnement de la structure, et formule des demandes incessantes et désordonnées vers le personnel
  • Elle contribue de ce fait à la désorganisation du travail, et à la démotivation de son personnel, qui, pour se protéger, l’ignore
  • Elle se chamaille régulièrement avec son personnel, elle entre dans des jeux de commérage, impliquant parfois les enfants de manière inappropriée (l’enfant dénonçant par exemple un adulte pour se venger), perdant ainsi sa crédibilité

Je décide de proposer d’accompagner la relation entre Christiane et Samuel, dans l’idée que la qualité de cette relation va être centrale pour dénouer les « problèmes » de Christiane et va déterminer directement le mode de fonctionnement de la structure.

Pour cela, je vais

  • D’abord créer l’alliance avec Christiane – ceci a lieu sur place, en février.
  • Puis amener Christiane et Samuel à revisiter leur alliance et à se construire une vision et un plan d’action partagés – ceci a lieu sur place, en mai
  • Puis accompagner leur relation (ceci a lieu depuis à distance)

Le travail de février

L’alliance avec Christiane va être possible notamment parce que je suis profondément touchée par son histoire. J’ai expérimenté comme elle les difficultés de créer et de faire vivre une organisation depuis zéro, et je peux véritablement ressentir le désespoir qui la saisit quand elle constate que l’organisation produit presque le contraire de ce qu’elle a souhaité.

Je vais d’abord beaucoup écouter, et valoriser le difficile travail qui a été réalisé.

Je vais ensuite m’engager avec elle, et lui garantir mon support présence dans la durée, chaque fois qu’elle aura besoin de moi.

Je vais commencer à verbaliser les boucles de communication, et à la faire réfléchir.

Elle adhère assez vite à l’idée que la porte de sortie des difficultés se trouve dans la qualité de son fonctionnement avec Samuel ; ceci la terrifie en même temps car elle sait que ce qui s’est produit à toutes les chances de se produire à nouveau. Nous parvenons donc assez vite à « faire l’alliance » sur le principe de l’accompagnement de leur relation.

Le travail de mai

Je constate que Samuel est lui aussi très motivé par la démarche, car il craint de retomber dans les difficultés du passé, et la situation actuelle lui pèse aussi. Je construis avec lui le système de suivi financier de la structure, et ce travail nous soude autour de nos compétences « techniques » communes. Mon alliance avec lui est rapidement très forte, sans que j’en comprenne cependant exactement les ressorts. 

Je mets en place une série de rencontres avec Christiane et Samuel pendant 6 séquences d’une demi-journée, sur une période de 10 jours.

Je place un cadre de travail protecteur. Je leur permets d’expérimenter un mode de communication différent, non-conflictuel, dans la sécurité de ma présence.

Nous revisitons les fondements de la relation

  • La rencontre
  • Se dire ce qu’on a fait de bien ensemble
  • Se dire ce qui nous a fait souffrir

Nous parlons du projet commun, ils parviennent à se dire mutuellement

« C’est quelque chose d’important pour nous, et qu’on veut construire ensemble »

Je travaille sur leur communication, « ici et maintenant »

  • Ils commencent à repérer les boucles qui se mettent en place dans leur communication[1]
  • Ils se disent les sentiments que ces boucles font naître en eux.

Nous expérimentons un nouveau fonctionnement (en utilisant un sujet « d’amélioration » de la structure)

  • Comment instruire un sujet en s’écoutant l’un l’autre ?
  • Comment prendre une décision ensemble ?

Nous clarifions leurs rôles respectifs. Samuel est en charge de faire « tourner la boutique » pendant que Christiane s’occupe d’aspects plus stratégiques.

Elle verbalise qu’elle lui fait confiance.

Il verbalise qu’elle a besoin d’être rassurée par un reporting régulier.

Je sais que ma vigilance va devoir être très grande sur la non-ingérence de Christiane dans le quotidien, car le bouleversement pour elle est considérable.

Nota : cette partie de l’intervention a des aspects plus « techniques », et a fait appel à notre expérience spécifique en matière d’organisation et de management ; cependant ces aspects techniques ne sont que des prétextes pour « travailler » la relation.

Depuis….

Samuel prend en main les fonctions telles que nous les avons définies, et je l’aide sur certains aspects opérationnels d’organisation et de management, ou de finance.

Sa relation avec Christiane ne « l’empêche plus », il a le sentiment d’avoir un impact sur les choses et que la structure s’améliore.

Sous sa direction opérationnelle claire, la structure va en effet beaucoup mieux : le personnel est stable depuis 18 mois, les aspects matériels sont correctement gérés et les enfants sont bien traités.

Il redoute toujours les interventions intempestives de Christiane, mais sait que, si elle va trop loin, il pourra solliciter une discussion à 3, je crois que ça le sécurise.

Christiane, elle, est partagée : elle oscille entre des périodes de satisfaction (presque d’euphorie) où elle dit que ça va mieux et des périodes de doute et de soupçons vis-à-vis de Samuel. Mais elle le laisse faire…

Elle n’est pas très à l’aise dans son nouveau rôle, mais elle va quand même beaucoup mieux, et sait qu’elle a désormais à travailler sur la place de ce projet dans sa vie, ce qui est aussi douloureux…


  • [1] Christiane a l’impression d’être tenue à l’écart et que « tout le monde est contre elle », elle s’appuie sur une foultitude de détails pour étayer sa thèse ; elle finit (quand elle explose intérieurement) par aller voir Samuel
  • Samuel fait tout pour éviter cette conversation, dont il sait qu’elle va être interminable (et il a beaucoup de travail opérationnel sur les épaules…), et il se dit que quoi qu’il fasse il ne parviendra pas à la rassurer ; il a aussi beaucoup de difficultés à exprimer ce qu’il pense et à peur du conflit
  • Ainsi, pendant plusieurs jours (c’était parfois des semaines avant que je sois là), la tension monte entre eux… jusqu’à l’explosion