Auteure : Margot TANDT-NOWAK
Pour aborder ce qui influe sur le développement de l’identité, nous devons d’abord poser le concept d’identité lui-même. Celui-ci sera différemment définit selon les références empruntées à tel ou tel domaine de sciences humaines. Aussi, en sciences sociales, l’identité de l’individu est la reconnaissance de ce qu’IL EST, et ce par lui-même ou par les autres. En logique, philosophie et psychologie, l’identité peut désigner plusieurs formes de relations : celle d’un être à lui-même (« identité numérique » : le fait d’être un), l’identité comme ressemblance entre deux êtres (« identité qualitative »), celle dans le devenir temporel du sujet (« identité personnelle »), l’identité comme appartenance de plusieurs êtres à une même espèce ou sorte (« identité spécifique »), etc. En psychologie, nous pouvons citer quelques-unes parmi les différentes définitions : l’identité est présentée en tant qu’une socialisation de l’individu à travers une intériorisation des représentations sociales, et par le langage (J. Piaget) ; elle est une construction caractérisée par les conflits entre le Moi, le Ça, le Surmoi (S. Freud) ; ou encore, un sentiment d’harmonie, « sentiment subjectif et tonique d’une unité personnelle et d’une continuité temporelle » (E. Erikson).
L’homme est un être social puisqu’il est lié aux autres par un lien social et émotionnel et il évolue par rapport aux personnes et groupes de référence. Tous les apprentissages qui construisent et influencent ce qu’il devient se réalisent dans une relation sociale. Dès les premiers groupes d’appartenance, des gestes, attentions et une langue avec sa grammaire et tonalité spécifiques accompagnent l’enfant dans son développement psychophysique. Le langage constitue un phénomène social complexe jouant à la fois la fonction communicationnelle et identitaire. Par la communication dans une langue, les membres d’un groupe se déterminent avec réciprocité et construisent des liens d’appartenance sociale (famille, amis, voisinage, conviction politique, nation, religion, philosophie, etc.).
Dans une même langue, des variétés de vocabulaire, de syntaxe et de prononciation constituent de différents registres de langage : familier, professionnel, administratif, mais également des habitudes linguistiques dues au bagage culturel, social, intellectuel, etc.
Le développement de l’identité est ainsi lié à la langue utilisée. La langue permet l’expression des perceptions, sentiments et des opinions. La pensée est formulée grâce aux mots de la langue et contribue à la vision du monde. Pour les individus plurilingues, l’expérience sociale s’avère singulière selon la langue utilisée : elle est non seulement vécue mais également exprimée différemment. Les différents systèmes linguistiques maîtrisés et l’ordre de leur acquisition jouent un rôle dans la construction de l’identité. Puisque c’est la première langue qui permet à l’individu de penser, elle participe également, en premier lieu, à la construction de son identité. Ainsi, la première façon de concevoir les choses et le système de perception sont structurés en L1 (relativité linguistique d’Edward Sapir et Benjamin Lee Whorf).
Le rôle de la langue dans la construction de l’appartenance territoriale.
En Europe, au Moyen-Âge, de différentes composantes des mêmes langues se côtoyaient ou se confrontaient (dialectes et langues régionales, féodales). Au XIXe siècle, la formule « une langue, un peuple, une nation » contribue à l’appropriation de différents territoires, et à la création d’une « conscience nationale ». Au XXe siècle, la standardisation de langues nationales se produit progressivement grâce à la démocratisation de la télévision.
La langue et le discours : le discours est une forme de langage qui témoigne des habitudes de pensée, de croyances et des normes qui régulent les rapports dans un groupe social. Il est exprimé dans un système linguistique (sons, structures et significations). Une langue peut contenir plusieurs discours : un Québécois exploite la langue française différemment qu’un Français. Ainsi, les discours varient selon les normes et contextes sociaux.
La langue et la spécificité culturelle : c’est le discours qui témoigne des spécificités culturelles et non la langue. Ni les mots, ni les règles de syntaxe sont porteurs de culturel, mais les manières de parler, de raisonner, d’argumenter, de blaguer, de séduire. Exprimer une forme de pensée (un discours) dans une autre langue nécessite une adaptation discursive. Parler une langue étrangère, c’est restituer son discours propre en utilisant la grammaire et les formes sémantiques de la langue seconde.
Ainsi, les mots participent à véhiculer une culture, décrivant des connaissances (techniques, historiques, littéraires, religieuses, populaires…) partagées dans un groupe social. La pluralité des langages (discours) utilisés implique donc une pluralité de visions du monde accessibles à un individu grâce aux langues qu’il maîtrise.
La connaissance de vocabulaire et de règles de grammaire communs ne suffit pas encore à la communication efficiente. Une conversation réussie est possible grâce à la coopération entre les interlocuteurs. Selon la théorie de communication de Grice, il faut remplir plusieurs conditions pour se comprendre : celle de quantité (forme informative), de qualité (information véridique), de relation (forme en rapport avec la conversation), de manière (forme perspicace) et de politesse (forme respectueuse de l’image publique de l’autre : titres, âge, etc.) Les interlocuteurs s’exprimant toujours à partir de leurs visions du monde (discours) respectives, un terrain d’entente doit être construit entre eux, pour communiquer utilement.
Développement d’une identité plurilingue : le lien entre le langage et l’identité pour les personnes plurilingues est complexe en proportion de langues maîtrisées. La conscience de soi, la compréhension de son propre fonctionnement dans une société est un point de départ dans cette construction identitaire. Celle-ci doit ensuite s’exprimer dans de formes différentes des systèmes linguistiques utilisés. Par le fait même de leur utilisation, l’individu accède à davantage de formes de perception du monde ce qui influe, par conséquent, sur le développement continue de son identité.
En résumé, la langue maternelle introduit les catégories logiques de notre système de perception et d’expression. Elle donne une première clef d’interprétation du monde qui conduit à la construction des façons de voir les choses. Ainsi, l’identité de l’individu se construit progressivement dans ce processus d’acquisition du langage. Les émotions étant exprimées par le moyen d’un langage, la connaissance de soi et le développement de l’identité sont révélés par la maîtrise de l’expression des émotions.
Un individu plurilingue puise dans un répertoire de plusieurs langues pour comprendre et décrire le monde. La compétence de passer d’une langue à l’autre est naturellement déséquilibrée et évolutive.
La connaissance des effets du plurilinguisme sur le développement psychosocial des individus permet de promouvoir une didactique de langues adaptée et de soutenir au quotidien le développement de compétences plurilingues des jeunes générations.
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