Les noms et circonstances de cette histoire ont bien sûr été changés, pour préserver l’anonymat des personnes
Paul a 32 ans, il dirige une entité économique (dont je tais l’activité). Il est aiguillé vers moi par son entourage amical, parce qu’il ne sait « plus quoi faire » dans sa situation professionnelle actuelle.
Paul est très frustré de sa situation professionnelle, il aime beaucoup la finalité de son travail, il est très impliqué dans le projet (qu’il a démarré il y a 3 ans), mais il a l’impression de faire du surplace, que le projet ne se développe pas, qu’il ne parvient pas à recruter, à monter son équipe, à trouver davantage de financements. Depuis quelques mois, il cherche du support auprès de son président, mais il n’obtient rien de tangible. Il a eu ces derniers mois plusieurs accidents de la route en se rendant à son travail…
J’identifie rapidement :
- Que les objectifs de l’entité ne sont pas (ou plus) forcément alignés avec ceux des actionnaires.
- Que la communication des actionnaires entre eux et avec Paul est malaisée ; on se fait des amabilités, on prend soin de l’autre dans la forme, mais on n’aborde jamais les sujets de fond.
Dans une telle situation, Paul, mal à l’aise, essaie d’exprimer sa frustration et tente de « faire des propositions constructives » (il sait qu’on n’aime pas les gens qui râlent, et c’est un « manager » pas un exécutant, on attend de lui de l’autonomie et de la prise d’initiative…). Mais à chaque fois, il échoue.
Il se sent comme une mouche enfermée dans un bocal, qui essaie de s’en sortir et se tape contre les parois…
L’intervention se déroule comme suit.
Je rencontre Paul pour la première fois fin mai.
Il m’explique qu’il a décidé de prendre en main l’ordre du jour du futur comité de direction et de mettre les pieds dans le plat, qu’il a menacé de ne pas ouvrir l’entité au public l’année prochaine si le recrutement d’une personne « référente » – recrutement que tous considèrent comme « clé » pour la réussite du projet – n’était pas réalisé, etc… J’investigue sur la situation, sur le danger dans lequel il se met lui-même et sur ses sentiments. Je récupère divers documents me permettant de mieux comprendre le contexte.
La rencontre suivante a lieu courant juin, juste avant le comité de direction. J’ai découvert que les statuts de l’entité sont complexes et confus, avec un empilement de diverses structures de gouvernance, etc…, que Paul n’a aucun mandat officiel par rapport à l’entité qu’il « dirige » et pas de fonction précise dans le comité de direction, auquel il est seulement « invité ».
La première partie du travail va consister à l’amener par petites touches à une nouvelle lecture de sa situation dans l’organisation, en l’invitant à repérer quelles sont les différentes chaises, et à regarder celle sur laquelle il est assis. Comment ça marche ? Qui doit décider quoi ? Quels sont les enjeux pour les différentes personnes assises sur les différentes chaises ? Je lui fais « regarder la scène » de l’extérieur. Parfois, c’est assez drôle, comme quand on est au théâtre et qu’on se reconnait dans les protagonistes. C’est un travail de recadrage « classique ». Un peu de « jeu » commence à apparaître du fait de la mise en scène.
La seconde partie du travail porte davantage sur la relation avec son manager.
- Lui faire mettre les chaussures de son manager
- Lui faire identifier ses propres comportements (les tentatives de solution qu’il a mises en place, qui le mettent en danger et qui s’avèrent toutes infructueuses…)
Puis nous allons visualiser ensemble, de manière nette et concrète, ce que son comportement au futur comité de direction va amener.
Et commencer à travailler sur « quoi faire d’autre avant et lors de ce comité ? »
En lieu et place de montrer son exaspération et de menacer si le recrutement de la personne référente « n’avance pas », Paul pourrait relativiser, jusqu’à freiner les tentatives de son président d’aller trop vite sur ce point…
Noter que le comité de direction va se dérouler sans encombre, aucun sujet de fond ne sera évidemment abordé, et tout le monde ressortira très content …. Nous avons pour le moment stoppé le « toujours plus ».
Lors d’une troisième rencontre en juillet, je trouve Paul plus serein, depuis qu’il comprend qu’il est l’élément d’un système, le poids sur lui s’allège.
Il n’a évidemment pas encore renoncé à « changer le système ».
Je lui dis que je comprends tout à fait qu’il ait besoin de vérifier par lui-même ce que les nouvelles pistes de « propositions » à faire à son manager vont produire, mais en même temps il envisage de demander une formation pour évoluer, il parle de changer de région, etc…
Quand je le revois une quatrième fois en octobre, il ne parle plus tant de son travail que d’autres difficultés personnelles, sans doute surgies dans le champ laissé libre. Un autre accompagnement commence alors…
L’allègement des poids sur Paul a été assez rapide, nous avons évité que la communication en boucle ne se détériore encore et encore, et que Paul s ’y enferme toujours plus.
J’espère l’avoir aidé à poser une distance plus juste avec son travail.